Pendant cette longue période de pandémie, nous avons été très nombreux à être confrontés à la question de la mort. Mais aussi à la façon de faire son deuil puisque certains de nos rituels ne pouvaient avoir lieu du fait des multiples interdits que la COVID 19 nous a imposés. Moi-même, coincée à Boston, je l’ai vécu : un de mes cousins, Thomas, un cher ami, Paul, un oncle Louis. Comment faire pour vivre cela de loin ? Comment vivre le fait de ne pouvoir assister à l’enterrement, de ne pas être proche physiquement de ceux qui sont dans la peine et qu’on aime ?

Bref, il me semble que la récente pandémie a rendu la question des rituels de mort particulièrement pertinente. Qu’elle nous invite à nous interroger sur le sens de ces rituels, sur ceux que nous souhaiterions ou au contraire que nous ne voudrions vraiment pas. Cette période particulièrement déstabilisante et confrontante, vient nous rappeler notre finitude et notre vulnérabilité. Ça nous offre ainsi des opportunités d’échanges sur un sujet essentiel et pourtant peu parlé. Comme si évoquer la mort, c’était l’inviter à notre table.  Comme le note la psychologue Marie de Hennezel, beaucoup d’entre nous ont une peur irrationnelle de prononcer le mot, « comme s’ils allaient attraper la mort de la même manière que l’on attraperait la grippe ».

Je vous propose donc aujourd’hui de saisir cette opportunité pour explorer un peu plus ce sujet qui fait partie de nos vies. Et découvrir ce que les anglophones appellent le death positive movement (mouvement positif de la mort). Un mouvement social qui encourage les vivants à parler ouvertement de la mort. Peu à peu, des gens brisent ce tabou avec deux espoirs : mieux mourir et, d’ici là, vivre mieux.

Constat

Est-ce le fait de la mondialisation, de l’interculturalité, d’un changement de sens, de besoins  ou encore d’une société toujours pressée qui n’arrive pas à prendre le temps ?

Les rituels qui entourent la mort

Toujours est-il que les rituels de mort ont évolué. Certains ont disparu, d’autres se sont transformés tandis que de nouveaux rites sont apparus. On observe ainsi que depuis le milieu du siècle dernier, la durée des funérailles est passée de trois jours à trois heures. On assiste à une montée importante du recours à la crémation. De nouvelles formes de communication relatives à la mort sont apparues sur les réseaux sociaux. Les sites commémoratifs en ligne se sont multipliés.

Comme nous le soulignions, beaucoup de personnes décédées pendant la pandémie n’ont pas eu droit aux rites habituels. Pour de nombreux proches, cela a été l’occasion de réaliser l’importance des rituels entourant la mort, mais aussi de se réinterroger, voire de se réinventer. Afin de tenter de pallier les interdictions de rassemblement imposées par la COVID 19, on a diffusé certains enterrements en ligne, on a créé des chats pour pouvoir se soutenir pendant les cérémonies à distance. Ou encore on a proposé des zoom pour rassembler les proches éloignés. On a proposé des «livres de condoléances » sous forme numérique. Les rituels de mort ont donc perduré mais sous d’autres formes.

Mais d’où vient ce besoin de ritualiser ?

Dans notre podcast sur les rituels #4, nous avions parlé de l’importance des rituels pour la transmission, la sécurité, le sentiment d’appartenance, le souvenir. Nous avions évoqué que dans nos sociétés, beaucoup de rituels étaient associés à des pratiques religieuses et culturelles (Bar Mitzvah, Baptême, l’action de Grâce en Amérique du Nord….). Qu’ils pouvaient également servir à commémorer un événement (Halloween, la St Valentin), un fait historique (coquelicot pour le 11 novembre, muguet du 1er mai …).

Rituel individuel ou collectif

Nous avions vu que le rituel peut être défini par la société. Ou inventé et institué individuellement ou en groupe. Quelle que soit son origine, le rituel a un sens, il est accompli pour une raison précise et avec un but, ce qui le distingue de l’habitude. Quant à la différence avec le rite, nous ne nous lancerons pas dans le débat ici. Et pour des raisons de facilité, nous considérerons que les termes sont équivalents. Même si certains auteurs les différencient !

Rituels autour de la mort

En ce qui concerne la mort, Luce Des Aulniers rappelle que le rite est avant tout une série de gestes codifiés. «Quand on met en place un rite, on prend acte de la réalité de la mort. Et en agissant ainsi, on signe notre détermination humaine, on inscrit notre humanité dans ce qui la dépasse.».

Dans les sociétés occidentales, «le silence que nous tenons en présence du mort montre que nous sommes attentifs à ce mutisme définitif de la mort qui est notre lot commun », dit l’anthropologue. « Ce silence représente une des entrées rituelles les plus fécondes. Il signe la suspension provisoire du temps.».

L’importance des rituels autour de la mort

Ce qui est important dans le rite, particulièrement dans le rite mortuaire, c’est d’agir d’une façon délibérée et surtout d’agir ensemble. «En prenant acte de ce qui nous désassemble – la mort –, on ne peut faire autrement que de faire corps”.

La mort nous confronte en effet à une grande palette d’émotions. Elles varient d’une personne à l’autre. Elles s’expriment différemment selon les caractères mais également les familles et les cultures.

Certains vont pleurer en groupe et même faire appel à des pleureuses pour que le chagrin s’exprime haut et fort et soit partagé par la communauté. D’autres vont préférer le recueillement et le silence.

Tout le monde se rejoint en revanche dans le fait d’utiliser le rite comme catharsis. Dans le sens de moyen de libérer les émotions et de les transformer. «Quand les gens ont accompli un rite, ils sentent qu’il s’est passé quelque chose. Cela les réconforte, cela leur apporte une provision de chaleur et de douceur pour les semaines suivantes, quand ils se retrouvent seuls dans un tournis de mélancolie. C’est un moment charnière.».

Le rituel, pédagogie de la mort ? 

La courbe du deuil

Peut-être avez-vous déjà entendu parler de la courbe du deuil ? Cette courbe est un moyen de comprendre le processus qu’une personne doit traverser pour dépasser une perte et surtout la transformer pour lui permettre de continuer à croître sur son chemin de vie. Ce n’est pas un modèle unique ou encore un parcours obligatoire et applicable à tout le monde. Elle donne en revanche des points de repères pour comprendre les différentes étapes que peut vivre l’endeuillé. Conceptualisée par Elisabeth Kübler Ross, elle présente 4 grandes étapes associées à des émotions et à des actions  :

  • la phase du choc, où se vivent généralement le déni, la colère et la peur
  • mais aussi la phase de la remise en question, qui peut être reliée au marchandage et à la dépression.
  • la phase de la remobilisation, avec l’acceptation et la découverte du sens.
  • et enfin la phase de l’engagement, où le temps de l’intégration et de l’action se concrétise

Les rituels du deuil

Dans ce processus de deuil, les rituels sont rarement nommés. Mais à notre avis, ils y ont toute leur place. Notamment pour permettre d’exprimer les émotions que provoque la perte. Pour les partager et aider à transformer ce moment qui nous percute souvent violemment, en un événement qui peut nous apprendre de nombreuses choses sur la vie, sur notre entourage et sur  nous-même.

Donc le rituel est non seulement important pour dépasser la souffrance, mais il l’est également pour la vie. À bien des égards en effet, l’enjeu profond du rituel est la continuité de la vie. La vie doit se perpétuer malgré tout. C’est-à-dire malgré la mort, la maladie, le malheur, l’injustice et l’impuissance. Le rituel se pratique pour que la vie perdure.

Quel rituel ?

Nous allons ici parler de rituels funéraires mais aussi de rituels “périphériques” tels que ceux du souvenir ou de la commémoration. Ils sont conventionnels et formels ou spontanés et novateurs. Les rituels qui accompagnent le mort jouent un rôle important dans le déroulement du deuil des personnes qui restent.

La crémation

L’augmentation du recours à la crémation procèderait de la compression des espaces dans un environnement de plus en plus urbanisé. De notre répulsion hygiéniste pour tout ce qui symbolise notre finitude. Mais aussi de la vision que nous avons du corps. La crémation permet d’éviter l’image du corps en décomposition, une image très désagréable pour de nombreuses personnes. Elle interroge nécessairement la valeur que nous accordons au corps sans vie.

La mise en terre

Selon Luce Des Aulniers, l’existence d’un lieu pour les morts est très importante. Dans le sens où ce lieu nous rappelle que la mort est une réalité qui fait partie de nos vies.

Il est intéressant à ce propos de noter que si la crémation est beaucoup plus courante aujourd’hui, la mise en terre demeure importante. D’ailleurs le rite de la crémation et celui de la mise en terre sont souvent combinés. De nombreuses personnes choisissent ainsi d’enterrer les cendres (même si certains pays ont interdit cette pratique dans les lieux privés). «Le retour en terre est quelque chose de fondamental dans les sociétés agraires, mentionne l’anthropologue. Dans ces sociétés, on placera les cendres du défunt sous l’arbre qu’il aimait ou on plantera un arbre à l’endroit où l’on dépose ses cendres.»

La dispersion des cendres 

Si elle est libre au Québec, elle est très encadrée en France depuis 2008. Elle est par exemple interdite dans les lieux publics (fleuve, routes, rivières). Elle doit être faite avec autorisation du maire de la commune en cas de dispersion dans la mer.

La symbolique de l’eau

Pour Luce Des Aulniers, l’eau évoque la matrice utérine dans laquelle nous avons d’abord été portés et bercés. «L’eau évoque aussi le passage vers le monde des morts, rappelle-t-elle, comme dans le mythe grec de Charon.». La dispersion des cendres a une valeur symbolique forte et sera souvent associée à un lieu qui a une signification pour  le défunt.

La lumière

Feux rituels, cierges et bougies allumés ont toujours accompagné la mort, rappelle l’anthropologue. La flamme symbolise souvent la vie, à la fois source de lumière et de chaleur mais aussi fragile et susceptible de s’éteindre. Le feu lui,  est relié à la mort, voire à l’enfer (les flammes de l’enfer). Le mot feu lui-même a longtemps désigné le mort (feu Monsieur Richard, feue madame Paulette. Et c’est encore lui qui est utilisé dans la crémation. Le feu, explique Luce Des Aulniers, élimine de façon radicale une des craintes fondamentales de l’humanité, celle d’être enterré vivant. «Il annihile aussi une autre crainte universelle, celle de la dépouille qui pourrit lentement, qui est, pour plusieurs personnes, une façon de mourir deux fois… Alors qu’une fois suffit amplement !».

Les réseaux sociaux

Il vous est peut-être arrivé d’avoir des rappels d’anniversaires ou d’événements lancés  par la page Facebook ou Instagram d’une personne décédée. Avec les réseaux sociaux, les personnes ont en effet d’autres “lieux d’existence”. Et comme il peut être difficile d’effacer le numéro de téléphone de son carnet d’adresse, fermer la page d’un proche peut être perçu comme intolérable pour d’autres. «Comme si l’être aimé mourait une seconde fois».

En même temps, ces suppression ne font-elles par parties de ces multiples renoncements que le départ d’une personne nous oblige à faire ? Selon Luce Des Aulniers, transformer le compte en site mémoriel, avec l’indication «en souvenir de» qui apparaît sur la page de la personne défunte, peut être un bon moyen d’assumer le travail du deuil. La page qui recueille les messages de condoléances peut devenir un nouveau lieu de rassemblement. Le web agit alors «comme nouveau médiateur de l’expressivité émotionnelle, la faisant se livrer et se réverbérer, puisque chacun, même inconnu, peut répondre aux propos».

L’objet collectif 

Les décès qui interpellent toute une communauté, particulièrement les morts violentes, mettent en relief la dimension collective de la perte qu’engendre la mort. Dans le geste qui consiste par exemple à accrocher un bouquet de fleur à l’endroit d’un accident de voiture ou encore un vélo peint en blanc sur les lieux où un cycliste a perdu la vie. L’anthropologue voit un rite visant à ressouder la communauté. «Le fait que les bicyclettes soient accrochées de façon un peu inusitée, cela transmet le même message qu’autrefois les croix de chemin. Ici, il y a eu une tragédie, donc faisons attention.».

 

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Les rituels collectifs 

Il s’agit, en tant que groupe, de se réunir à un niveau communautaire (un quartier, un milieu de soins, une organisation, une entreprise, etc.) derrière une action concrète pour une commémoration sacrée des défunts.

La tenue d’un rituel collectif permet de :

  • reconnaître le caractère collectif des pertes et exprimer une responsabilité collective (en cas de guerre, de catastrophe naturelle, de pandémie …)
  • contrer l’isolement et contribuer à la cohésion sociale
  • Développer une résilience communautaire et revaloriser le pouvoir d’agir des communautés.

Ces rituels ont été particulièrement remis en vue pendant la pandémie de la COVID 19. Ici, la Direction régionale de santé publique de Montréal a par exemple publié récemment un guide. Il met en lumière les principes fondamentaux des rituels collectifs, tout en soulignant leur importance dans le contexte actuel. Le faire en temps de pandémie permet de reconnaître qu’il ne s’agit pas seulement d’une épreuve individuelle, mais bien collective.

Le podcast sur le lien #79

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Points importants

Quels sont les points importants dans la création de rituels :

  • Avoir du sens : prendre part à la démarche et aux objectifs du rituel permet de se sentir plus engagé. La symbolique derrière la représentation choisie lors du rituel (une chandelle, des foulards, des poèmes, une couleur, etc.) doit être porteuse de sens pour les personnes. La signification doit donc être explicite tout en permettant aux individus de l’interpréter à leur manière. Il est donc primordial d’inclure les endeuillés, voire des citoyens (pour un rituel collectif). le rituel permet de remplir le sentiment de vide, voire les regrets qui peuvent apparaître au moment de la perte.
  • Tenir compte de la diversité : le point de vue de différents individus, leurs expériences et l’ensemble de leurs forces sont à prendre en compte et permettent des échanges stimulants et riches dans la préparation et la réalisation du rituel. « Le rituel collectif est le résultat d’une réflexion collective. »
  • Être visible : « La visibilité de l’événement peut contribuer à la résilience des endeuillés ». Puisque lorsque les sentiments sont validés et partagés par le plus grand nombre, les personnes endeuillées peuvent plus facilement cheminer à travers le processus de deuil. Cette visibilité peut remplacer celle qui existait avant. Lorsqu’on prenait le temps de garder les corps morts pour aller dire au-revoir, lorsqu’on prenait le temps d’être en deuil, de visiter la famille endeuillée.
  • Partager : le soutien social est nécessaire. A défaut de présence physique, une communauté virtuelle pourra aussi servir de soutien. En partageant ensemble leurs émotions #5 , les personnes endeuillées prennent conscience de leur appartenance à la collectivité. Elles profitent de l’énergie qui émane du groupe. Elles éviteront de manger leur émotions. Nous en avions parlé dans notre podcast #62

En bref 

Le rituel permet de mettre en gestes et en paroles une quête de sens pour accompagner la séparation et le passage du statut de vivant à celui de mort. Louis Vincent Thomas nous le rappelle : « Le rituel ne prend en compte qu’un seul destinataire : l’homme vivant, individu ou communauté. Sa fonction est de guérir ou de prévenir, fonction qui revêt d’ailleurs de nombreux visages : déculpabiliser, réconforter, revitaliser. […] Ce rituel de mort serait en réalité un rituel de vie. » (in Rites de mort. Pour la paix des vivants, 1996).

la mort

Allez hop, je me lance !

En résumé

1- Réaliser un rituel en présence les uns des autres, permet de prendre pleinement conscience que les personnes endeuillées ne sont pas seules.

2- Les pratiques codifiées sont nécessaires pour donner un sens symbolique à la séparation.

3- le rituel est non seulement important pour dépasser la souffrance, mais il l’est également pour la vie

A vous de jouer chers auditeurs, une carte de 2 minutes ensemble !  pour penser à un rituel de mort qui fait du sens pour vous. Et pourquoi pas profiter de ce podcast pour amener le sujet chez vous et réaliser qu’en parler peut se faire en douceur et même avec une certaine libération ?

La petite mousse est un peu longue cette semaine cependant les mots de Khalil Gibran : Quand tu es heureux, regarde au plus profond de toi. Tu verras que seul ce qui t’apporte de la peine, t’apporte aussi de la joie. Quand tu es triste, regarde à nouveau dans ton cœur, et tu verras que tu pleures ce qui te rendait heureux.

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